POLITIQUE
par Frédéric Pinchon
Lens, Liévin, Hénin-Beaumont — juin 2025. Dans les corons de briques rouges, au pied des terrils recouverts d’herbes folles, flotte une question lancinante : pourquoi les habitants de l’ex-Bassin minier, historiquement terre de gauche et bastion ouvrier, votent-ils aujourd’hui majoritairement pour le Rassemblement national (RN) ?

À chaque élection, le Pas-de-Calais s’enfonce un peu plus dans le bleu marine. En 2022, Marine Le Pen y avait réalisé ses meilleurs scores nationaux. En 2024, les municipales ont confirmé cette tendance. Le phénomène ne peut être réduit à une simple réaction de rejet : il est, aussi, l’expression d’un malaise profond, enraciné dans l’histoire sociale et économique du territoire.
Une gauche absente, un électorat orphelin
« Mon père était mineur, il votait communiste. Moi, je vote Le Pen. Pas par conviction mais parce qu’on n’a plus personne pour nous défendre », explique Gérald. À 48 ans, c’est un ouvrier au chômage. Il se confie dans un café de Bully-les-Mines. Le sentiment d’abandon est partout. Depuis la fermeture des dernières fosses, en 1984, la région peine à se relever. Chômage chronique, précarité, désertification commerciale… À ces maux, s’ajoute une perte de repères politiques.

Le PCF et le PS ont longtemps ancrés dans les cités minières. Ces partis ont progressivement déserté le terrain. « Les permanences syndicales ferment. Les élus ne passent plus. Les jeunes n’ont plus de lien avec l’histoire ouvrière de leurs grands-parents », observe Annie Delporte, sociologue à l’Université d’Artois. Dans ce vide, le RN est venu s’installer. Il y a importé un discours simple, lisible. Il a su faire preuve d’un enracinement méthodique. À Hénin-Beaumont, ville pilote du RN, Steeve Briois est maire depuis 2014. Ses soutiens y vantent la sécurité retrouvée, la propreté des rues et la « fierté locale ». Ces arguments pèsent lourd face à l’inaction perçue des partis traditionnels.
Insécurité culturelle et rejet des élites
Mais le vote RN ne repose pas uniquement sur des considérations économiques. Il est, aussi, le reflet d’une « insécurité culturelle », selon le politologue Jean-Yves Camus. Le sentiment d’un déclassement identitaire s’est installé. « On voit des familles entières partir dans le sud ou en Belgique. Ici, on reste avec les logements dégradés, les étrangers et la peur de perdre nos valeurs », résume Michel. Ce retraité de 67 ans réside à Liévin.

Ce discours n’est pas toujours fondé sur des réalités statistiques. Il repose également sur une perception, alimentée par la désinformation et le quotidien difficile. Le FN, puis le RN, ont su jouer sur ce ressenti. Ils ont désigné des boucs émissaires : migrants, assistanat, élites parisiennes. « Ils parlent comme nous », disent certains électeurs. Cela contraste avec la technicité jugée lointaine des discours de gauche.
Vote de colère mais d’adhésion
Contrairement aux idées reçues, le vote RN n’est plus seulement protestataire. Il s’ancre dans une forme d’adhésion. C’est notamment vrai chez les jeunes. Le parti a su se normaliser. Il a appris à parler pouvoir d’achat, sécurité, identité. Il a même introduit le mot « écologie », dans une rhétorique « proche du peuple ».

À Courrières, Maëva, 24 ans, est assistante vétérinaire. Elle vote RN depuis qu’elle est en âge de choisir : « C’est le seul parti qui semble vouloir changer les choses. Les autres, on les a tous essayés. » Ce basculement n’est pas sans conséquence. Dans certaines communes, les oppositions sont réduites à peau de chagrin, les débats publics s’appauvrissent…
Fracture démocratique durable ?
Malgré une image plus policée, le programme du RN pose toujours des inquiétudes démocratiques : stigmatisation des immigrés, mépris des contre-pouvoirs, flou sur l’Europe. Face à cette progression, les autres partis peinent à proposer une alternative audible. L’ancien Bassin minier est devenu un laboratoire politique du malaise français. La terre était autrefois rouge. Aujourd’hui, plus que jamais, elle est en quête de repères.
À l’heure où le tribunal administratif de Lille confirme la démission de fait de Marine Le Pen, de son mandat de conseiller départemental, qui vivra verra !
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